Le Passevin, canal inondé et source de conflits – Ouest France du 5 décembre 2018

Coutançais. Le Passevin, canal inondé et source de conflits

Depuis 1995, une grande partie du Passevin n’est plus entretenu, entraînant des inondations fréquentes. Les riverains demandent que les autorités procèdent à des opérations de curage. 
Depuis 1995, une grande partie du Passevin n’est plus entretenu, entraînant des inondations fréquentes. Les riverains demandent que les autorités procèdent à des opérations de curage.  | DR

Sur le domaine familial, dans les marais d’Annoville, Anastase Bouet pêchait et chassait depuis tout petit. Plusieurs hectares de terrain dans lesquels il a passé toute sa vie. Un écosystème, également, qu’il a vu évoluer au fil des décennies. Aujourd’hui, il constate les dégâts :  « Les arbres sont pourris, tout est mort, l’eau est croupie » , lance-t-il d’un ton désabusé, qui trahit plusieurs années de combat. Le responsable de ce paysage : le canal du Passevin. Creusé en 1803 pour assécher les marais alentour et rendre les terres cultivables, ce cours d’eau est aujourd’hui la source de tous les litiges. D’abord querelle de voisinage, l’affaire a pris de l’ampleur et concerne désormais l’État, attaqué en justice.

Un curage nécessaire

Le Code de l’environnement stipule que les cours d’eaux non-flottables et non-navigables sont régis par le droit privé. Autrement dit, ils appartiennent aux riverains. C’est le cas du canal du Passevin, propriété de plusieurs habitants, de Lingreville, où il prend sa source, jusqu’à Montmartin-sur-Mer, où il débouche dans le havre de Regnéville. Tous ont donc la charge de son entretien. Mais les problèmes persistent.  « Il faut faire des travaux sur toute la longueur du canal » , s’acharne Anastase Bouet. 

Une observation partagée par Franck Lemonnier, chargé de la qualité des eaux au Comité régional conchylicole (CRC).  « Le canal du Passevin, c’est un cours d’eau à pente douce, il doit donc être curé régulièrement. » Mais qui peut s’en charger ?  « La préfecture possède la compétence de police de l’eau. »

Un pouvoir auquel a fait appel Anastase Bouet en 2015. Il essuie les rejets de la préfecture et se tourne alors vers la justice. En mai 2017, le tribunal administratif de Caen enjoint le préfet à réexaminer sa demande. Cinq mois plus tard, la préfecture envoie des experts de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) sur place. Conclusion : le canal  « n’est pas à plein bord et donc sans débordement [et] le travail d’entretien est conforme [au] Code de l’environnement. »

« Ils se foutent de moi ! » s’insurge Anastase Bouet, qui a vu l’affaire être classée à la suite de ce rapport. Il se tourne alors vers un expert, qui dresse en 27 pages des conclusions accablantes, loin de celles de la DDTM.  « Aucun écoulement d’eau » à un endroit,  « une hauteur d’eau de 3 cm pour 82 cm de vase » à un autre qui provoque  « la mort des arbres » . L’expert fait  aussi remarquer la nécessité « de travaux de restauration sur environ 5 km » .

Début septembre, le marais a été asséché par le beau temps et a laissé apparaître 120 cm de boue. | DR

« Les poissons crèvent »

La préfecture dit ne pas en avoir la charge. Les services de l’État ont l’obligation d’intervenir uniquement lorsqu’ils constatent qu’il n’y a aucun écoulement. Le Passevin  « s’écoule moins bien qu’il y a un siècle, mais s’écoule quand même , assure Rémy Brun, chef du service environnement de la DDTM.Il faut comprendre qu’on est dans une zone marécageuse. Devons-nous assécher des marais ? Je pense que non. »

Mais pour Franck Lemonnier, la pollution du canal devrait alerter les pouvoirs publics.  « Il y a des cyanobactéries liées à la stagnation des eaux. Les poissons crèvent, il n’y a plus de grenouilles, les canards n’arrivent plus à se reproduire… »

La communauté de communes Coutances Mer et bocage (CMB) entend reprendre le dossier. «  Une étude hydraulique et géomorphologique va être lancée dans les zones blanches du territoire, dont le Passevin, en 2019 » , signale Adeline Hubert, en charge de la prévention des inondations à la CMB. Pourrait s’ensuivre quatre années de travaux, pour mettre fin à vingt ans de conflits.